LA FLEXIBILITÉ TOUTE POLITIQUE DU PACTE DE STABILITÉ, par François Leclerc

Billet invité.

« Les règles du Pacte de stabilité ne doivent pas être remises en cause », s’est cru obligé de préciser le commissaire Pierre Moscovici ce matin, balayant ce qu’il a qualifié de « beaucoup d’exagérations et de spéculations ». Avec l’Espagne, l’Italie et la France dont les gouvernements font plus ou moins subrepticement le contraire, on a quelques difficultés à le croire !

Bruxelles a jugé optimiste le budget espagnol 2016 en raison de ses prévisions de croissance et sous-estimations de déficits potentiels. Elles ont permis à Mariano Rajoy, en pleine campagne électorale, de ne procéder à aucune coupe budgétaire comme les années précédentes, ainsi qu’à augmenter les retraites ainsi que les salaires des fonctionnaires. En conséquence, la Commission a demandé un remaniement du projet de budget 2016 pour le lendemain des élections !

Vis à vis du projet italien, elle est plus souple et procédera à un nouvel examen au printemps prochain, soulignant dès à présent « un risque d’écarts de non-conformité » avec les objectifs budgétaires du pays. Elle examinera plus particulièrement l’utilisation des clauses de flexibilité du Pacte de stabilité, avec lesquelles le gouvernement italien a largement joué pour rester formellement dans les clous. La Commission pourra être amenée à demander au gouvernement de réduire certaines mesures budgétaires de prévues et de décider de nouvelles réformes structurelles.

Le cas de la France reste encore confus, en attendant une évaluation précise du coût des nouvelles mesures sécuritaires. Elles s’inscrivent toutefois dans le contexte de reports successifs de la réduction du déficit budgétaire et pourraient en annoncer un autre, qui trouverait sa justification ex-ante dans la formule-choc de François Hollande : « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Des points de vue divergents sont déjà apparus entre la Commission et le gouvernement français à propos du passage du déficit sous la barre des 3% en 2017, année de l’élection présidentielle et date à laquelle il a été repoussé.

Au vu des circonstances et de la crise des réfugiés, l’exécutif européen peut se réfugier derrière une approche « intelligente et humaine », et considérer celle-ci comme une circonstance exceptionnelle justifiant des dérapages budgétaires. Non seulement la Grèce vient d’en profiter, mais ce pourra être aussi le cas de l’Autriche, de la Belgique et de la Grèce. Des procédures pour déficit excessif ne seront pas adoptées quand elles auraient du l’être. A propos de la France, Pierre Moscovici a déclaré que « dans ce moment terrible, la sécurité des citoyens est la priorité absolue et vous pouvez être certains que la Commission européenne le comprend tout à fait », tandis que Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, admettait que « c’est un peu gênant de débattre de son budget avec la France alors qu’elle se trouve devant un tel défi. La compréhension est donc le maître-mot ». Le gouvernement allemand en fait preuve également en se bornant à déclarer « le pacte de stabilité contient déjà actuellement des possibilités de flexibilité. La mise en œuvre du pacte est sous le contrôle de la Commission européenne ».

Une telle souplesse inaccoutumée va-t-elle ou non durer ? Ce qui la fonde officiellement ne vient-il pas à point nommé, les préoccupations liées à la progression de la crise politique qui touche toute l’Europe prenant le pas sur la rigueur jusque-là affichée ? La confluence des deux crises, à laquelle vient s’ajouter le danger permanent d’attentats sanglants n’a pas fini de produire ses effets, confirmant que les règles les plus intangibles ne sont que le reflet des volontés politiques du moment. Ce qui est fait peut être défait, y compris sans le revendiquer.